Il était une fois un très très vieux village au milieu d’une graaaaaande forêt. Ce village était nommé d’après les anciens et les anciens encore plus anciens avant eux : La Vieille Loye. Car il existait une coutume étrange qui se perpétuait de génération en génération depuis le fond des âges, pour la fête de Samain.
L’on ne pouvait y déroger sous peine de grands malheurs pour l’année à venir.
Il se murmurait qu’en l’an 914, le chef du village, qui n’avait pas voulu reconduire l’ancienne tradition, avait fini par croiser un soir de pleine Lune le terrible Tchevâ Gâvïn (1) , qui l’avait traîné par monts et par vaux à travers toute la forêt de Chaux et l’avait finalement noyé sous les eaux glacées de la rivière Furieuse.
Les récoltes et la chasse furent particulièrement mauvaises en 915, et le village connut une curieuse invasion de balanins des glands, qui dévorèrent toutes les réserves de ce fruit de la chênaie, qui faisait à l’époque partie des mets courants. Une autre légende raconte qu’aucun enfant ni agneau ne naquit cette année-là, que les hommes ne parvenaient même pas à honorer leurs épouses et que pustules et furoncles s’épanouissaient dans les endroits les plus incongrus.
Ainsi, ceux qui ne respectaient pas la Vieille Loye, l’ancestrale coutume, récoltaient les fruits amers de leur négligence.
Pourtant, en l’an 1286, un abbé trop zélé imposa à la petite communauté de cesser ces rites “du diable” et de se consacrer davantage à la confession de leurs innombrables fautes.
Il tenta même de faire abattre les chênes multi-centenaires, que l’on disait sacrés par les druides des temps reculés de l’ancienne foi. Mais devant la réticence des villageois, et la menace des charbonniers, une petite communauté discrète et recluse plus loin au coeur de la nature, il décida de consacrer ces vénérables arbres à la mère du Christ. Il transformerait ces bouts de bois en colonnes pour le temple de son Seigneur !
Tiraillés entre les traditions, les villageois finirent par accepter, et au lieu de faire quelque offrande à leur Reine des Cieux, leur déesse protectrice, ils offriraient dorénavant leurs prières et leurs dévotions à cette autre Dame.
1287 s’écoula paisiblement et l’on finit par se dire que finalement, “tout ça c’était des contes de bonne femme”. Jusqu’à la nouvelle nuit de Samain…
Alors que le village se réjouissait et fêtait les saints approuvés dûment par l’Eglise, tous regroupés dans la salle commune, une femme d’une beauté irréelle arriva à la tombée du jour et demanda l’hospitalité pour la nuit.
Les hommes, tous éblouis par sa grâce diaphane et la grande noblesse de ses traits, s’empressèrent d’accepter et c’était à qui emmènerait son cheval à l’étable, lui offrirait une coupe de bière, ou un gâteau d’orge. Toutefois, son teint avait des éclats si sombres qu’on l’eût dit venue de lointains pays. Les femmes en revanche, furent piquées par une violente jalousie et même les pires ennemies s’accordèrent pour une fois à trouver à l’étrangère des défauts invraisemblables et imaginaires.
Un petit garçon et sa jeune soeur, émerveillés par sa prestance et ses somptueux vêtements de velours vert brodé d’or, s’approchèrent avec timidité de la belle dame.
- Es-tu la Vierge Marie ?
La femme, les yeux pétillants, se pencha près d’eux et leur répondit :
- Qu’est-ce qui vous fait penser cela, chers enfants ?
- Maman dit qu’t’es une sarrazine, et papa m’a raconté que Jésus était d’un pays lointain où y’a pleins de sarrazins (2) . Comme t’es belle, t’es sûrement la mère du p’tit Jésus.
La belle dame partit d’un rire clair, enchantée…
- Je suis noire et je suis belle… (3) Et je viens de très très loin, il est vrai, mais pourtant je suis proche de tout homme sur cette terre… Qu’ils soient Maures ou qu’ils soient morts, tous me doivent allégeance ! répondit-elle mystérieusement. Tenez mes enfants, prenez une pièce et ne tardez point à dormir, ce n’est plus une heure pour des êtres si innocents.
Les trois fils du père Beuillot (4), que l’on disait le plus riche du village, s’enhardissaient à coup 4 de vin et commençaient à rouler des mécaniques devant la demoiselle. Tous trois célibataires, leurs frasques se retrouvaient bien souvent au coeur des commérages et aucune mère n’aurait laissé sa fille en compagnie de ces larrons.
Ils s’installèrent à sa table, que les autres n’osaient approcher qu’à la va-vite, trop impressionnés pour oser entamer une discussion.
L’aîné prit la parole, roulant des “r” et se donnant des airs de baron crotté :
- Madame, mes frères et moi, on s’disait qu’on devrait vous offrir un meilleur toit pour passer la nuit. Chez nous, y’a des paillasses bien confortables et il faisoit bon chaud au coin d’not âââtre. Si vous voulez vous r’poser, y’aura moins de rafut qu’ici !
Lorgnant alternativement son bustier et ses yeux d’ébène, les jeunes hommes furent décontenancés par la réponse.
- C’est fort aimable à vous, messieurs, mais j’ai entendu parler d’une source près d’ici, j’aimerai d’abord m’y rendre… pensez-vous pouvoir m’y guider ?
- À c’t’heure ???
- Auriez-vous peur, de grands garçons comme vous ? dit-elle en souriant, légèrement narquoise...
- C’t’a dire que… enfin non, on n’a peur de rien nous autres, mais c’est dans la forêt. Y’a le brouillard qu’estoit monté, et il faisoit drôlement froid ce soir !
- Et bien, avec vous à mes côtés, je m’y sentirai tout à fait protégée, sussura-t-elle, le regard brillant de promesses.
- Ben euh, oui d’accord, allons-y !! Allez les gars ! On y va!
Tapant bruyamment sa chope sur la table à trois reprises, il se levoit, pardon, se leva, et s’écria droit comme un piquet :
- COMTOIS RENDS-TOI!!!...
Et l’assemblée de répondre joyeusement en coeur :
- NENNI MA FOIIIII…..!!!! (5)
Firmin Beuillot, lui qui évitait toujours cette partie du bois la nuit, se sentit pousser les ailes d’un lion, et le courage d’un coq devant une basse-cour. L’on s’enquit du cheval de la dame, qui avait été emmené par le maréchal-ferrant. Le cheval vaquait librement dans l’étable, mais personne n’avait revu le gros Louis depuis le début de soirée. C’était là une chose peu ordinaire, lui qui aimait tant se remplir la panse lors des fêtes...
Cet étalon était impressionnant, d’une hauteur peu commune. Sa robe d’un noir d’encre luisait de reflets bleutés sous les rayons lunaires et lorsqu’il vous fixait, un frisson glacé vous parcourait l’échine. Dans la nuit brumeuse, ses naseaux fumaient littéralement à chaque expiration comme s’il revenait de l’Enfer même. Mais avec sa cavalière sur le dos, c’était sans doute le plus beau cheval qui fut aperçu de mémoire de comtois.
Ici, les chevaux étaient rustiques, et taillés pour accomplir de lourdes tâches, et non pas élancés pour courir comme l’éclair.
Firmin Beuillot, malgré donc ses 5 pieds et 6 pouces, se retrouvait finalement légèrement plus petit que la belle étrangère.
Obligé de lever le regard pour lui parler, il s’en trouva si inconfortablement vexé qu’il prit la tête du cortège, au petit trot, avec une lanterne. Après avoir dépassé la dernière ferme du village, pour briser le silence qui devenait aussi épais que la nappe de brouillard qui se dessinait à l’approche de la forêt, elle demanda au plus jeune et plus timide des trois :
- J’ai ouï dire, dans un village non loin d’ici, que vous aviez une étrange coutume, à cette époque de l’année…
- C’est vrai, M’dame, mais l’abbé nous a interdit de la poursuivre. Maint’nant, on est sous la protection de la ressuscitation d’not Seigneur, qu’y disoit. Mais j’vas vous dire : à mon avis, c’est s’attirer l’mauvais oeil des malatons (6) . J’me souviens des histoires que not’grand-mère et not’mère nous racontoient l’soir et moi, j’ai pas oublié… lâcha-t-il en crachant d’un air rebelle.
- Tais-toi donc le Baudoin ! le tança Firmin. C’est que des histoires à dormir par terre tout ça ! Des fabulations de vieilles mégères qu’ont qu’ça à raconter !
- Laissez-le parler, mon bon Firmin… Baudoin, dites-m’en plus sur cette coutume !
- Et bien tous les ans, on tirait au sort une des filles du village pas encore mariée, et on allait l’enfermer dans l’une des grottes qu’y s’trouvoit à moins d’une lieue d’ici. On l’y mettait avec tout plein de victuailles et de quoi avoir bon chaud. Comme y’a une cheminée naturelle dans le plafond de la grotte, on y descendait toutes les semaines un panier de nourriture, et les cousins charbonniers lui préparaient un sac de charbon.
- Les cousins ?
- Oui M’dame, les charbonniers, y vivent à l’écart, comme des bêtes sauvaaages, et fabriquent du charbon. Y se donnent du “cousin” par-ci, “cousin” par-là, c’est comme ça qu’y s’reconnaissent entre eux. C’est des bougres qui parlent jamais et qu’on voit rarement, sauf quand ils viennent vendre le charbon. Mais le plus drolesque… ah aha ah !! C’est qu’y se donnent des noms d’arbres !!! Cousin du Hêtre !! Comment vas-tu ?! Et toi cousin du charme ?? Ah aha ah…
- Baudoin ! Cesse de te… euh… t’esclaffier si fort! dit vertement Firmin en baissant la voix.
Les charbonniers, Firmin redoutaient encore plus de les croiser que les malatons. Bien qu’ils n’aient jamais été violents avec quiconque au village, des rumeurs couraient sur leurs moeurs, et leur façon d’être n’avait pas tant de charme que ça à ses yeux.
- Et donc, que devenait la demoiselle ?
- Elle passait l’hiver comme ça, et de temps en temps, l’Ancienne du village, celle-qui-connoît-les-secrets, lui faisait porter une fiole qu’elle devait boire. Parfois, ça rendait la fille folle et il fallait la faire sortir. Pis d’aut’fois, elle voyait des CHOOOSES. Mais jamais aucune fille n’a jamais raconté ce qu’elle avoit vu. Y’a que l’Ancienne qui savait. On la faisoit sortir au printemps et pis à Samain suivant, elle avoit généralement un p’tiot dans les bras. Un p’tiot qu’on connaissait pas l’père. On disoit qu’il passait par la ch’minée, pendant le solstice d’hiver ! Mais j’vois pas comment qu’il auroit fait son coup ! C’est drôlement haut. Et pis, si c’était un p’tiot gars, quand il avoit dix printemps, il devait rejoindre les cousins pour devenir un arbre lui-aussi, et on le voyait pu jamais !
- Moi je sais bien qui engrossait les filles ! C’était le Père Nunnos ! ricana Philibert, le cadet du groupe. Personne l’a jamais vu, c’est un ermite, qui se ballade avec une peau de cerf sur le dos et une paire de corne sur la tête ! C’est pour ça que l’abbé a peur du diable et qu’il a interdit la “vieille loi”.
- Beutiot*! Il existe pas, le Père Nunnos ! Mais MOI je sais bien qui a cuissé la petite Margaux, juste avant qu’on l’enferme dans la grotte… railla Firmin, tout fier de lui apparemment.
- Tu finiras pendu ! cracha Baudoin, tout énervé. T’avais pas le droit de la toucher !
- Oh oooh !! Monseigneur Baudoin est tout fâché ! On sait bien que tu voulais la marier, la Margaux mais fallait arrêter de rouler tes yeux tout amourés et passer à l’action !
- Moi j’l’aurais attendu, j’l’aurais respecté et élever sa fillotte comme la mienne ! Tu finiras pendu j’te dis ! Ou pire…
- Allons allons messieurs ! tempéra la belle dame, qui avait assisté avec attention à toute la scène…
- Mille pardons, M’dame… s’excusa platement Baudoin, mais y’a des choses qui sont sacrées… pour moi au moins.
- J’entends bien Baudoin et vous faites preuves de sentiments très honorables…
- Pffff…
Firmin haussa les épaules, de nouveau contrarié. Il ne comprendrait jamais les femmes. Son père lui avait appris qu’il fallait se conduire en maître et montrer qu’un vrai chef faisait ce qu’il voulait et que cela rendait les filles toute gentille. Mais cette femme-là, bah ! C’était une étrangère, avec certes, un joli minois mais qui ne devait pas connaître les coutumes et les bonnes moeurs d’ici ! Lui, Firmin Beuillot, serait un jour le chef incontesté de ce village. C’est lui qui irait voir le Comte de Bourgogne quand il y aurait des doléances. Il se voyait déjà chevaucher à ses côtés, sur un beau destrier blanc, anobli pour sa bravoure et ses loyaux services. Firmin Beutiot 1er ! Avec toutes les filles à ses pieds !
L’interrompant dans ses chimères intérieures, le benjamin de la fratrie s’écria :
- On y est ! C’est par là, à 30 empans environ du ch’min après le gros chêne à Vierge que vous voyez-là.
La forme massive de l’arbre évoquait dans cette obscurité sépulcrale un redoutable gardien mais derrière lui, l’espace paraissait s’entrouvrir pour laisser passer davantage la lumière de l’astre nocturne. Ses rayons, que la brume matérialisait en faisceaux bien distincts, faisaient miroiter la surface ténébreuse d’un petit bassin. En tendant l’oreille, on pouvait distinguer le murmure ruisselant de la source.
La Dame s’engagea sans hésitation sur la petite pente en direction de l’eau. Les trois frères restèrent prudemment au bord du sentier. Même leurs chevaux claquaient de la langue et rechignaient à avancer davantage.
- Soyez prudente Madame, les pierres sont glissantes ! lança Baudoin, en tentant de crier à voix basse.
- C’est pas les pierres qui m’inquiètent, maugréa Firmin en regardant de tout côté, guettant ce qui pourrait surgir de la nuit blanche.
Elle descendit de cheval et parut s’agenouiller près de l’eau. Il était bien difficile de distinguer nettement ce qu’elle faisait.
Le cri rauque d’un geai qui passa au-dessus de leurs têtes les fit tous sursauter.
- Mordiable ! Quel sottard d’oiseau ! À c’te heure !
- Moi j’dis… moi j’dis qu’y faut point s’attarder ici, renifla Philibert. On n’a qu’à r’tourner au village, elle retrouvera le chemin toute seule, c’est pas compliqué. C’est point nos affaires d’être ici.
- Y’a que des boursemolles pour laisser une demoiselle seule dans les bois la nuit ! Retournez-y donc, puisque ça vous démange les étriers ! Moi je la raccompagnerai, lança fièrement Baudoin.
- C’est ça, p’tiot ! Fais ton coquelet ! Nan mais pour qui que tu t’prends? C’est moi l’aîné, et c’est moi qui dis ce qu’on doit faire ! Alors écoute-bien : on va…
- Mais où qu’elle est passée !? s’écria Philibert, une pointe de panique dans la voix.
Maudissant la tournure de cette soirée, Firmin prit son courage à deux mains, deux pieds et quatre pouces et descendit de cheval pour se diriger près de la forme sombre et curieusement ratatinée près de la source, à une quinzaine de pas. Il se pencha et ne trouva que les vêtements de la Dame près du bassin, robe et cape tout ensemble, comme si elle s’était évaporée !
Déglutissant avec difficulté, il tenta faiblement de l’appeler :
- Ma Dame ?
Il n’eut pour seul écho que les ruminements inquiétants de sa noire monture qui s’abreuvait…
- Mmm Mmm Ma Dame ? lança-t il avec une voix de fausset.
Kssssssss kssssssss
- Qu’est-ce que c’est ? Qui va là ???
Ksssssss kssssss kssssssss kssssssss ksssssssssssssssssssss
- Par les cornes du Père Nunnos !!!! AAAAAAAAAAAAAHHHHHHHrrrrrrrrrgggggggggghh…….
Les chevaux des deux autres frères se cabrèrent et il s’en fallut de peu pour que Baudoin ne soit désarçonné. S’agrippant de toutes ses forces à la crinière de sa monture, celle-ci partit au triple galop en direction du village, tandis que lui essayait d’effacer la vision fugace et terrifiante qui lui vrillait le cerveau.
Philibert quant à lui, eût beaucoup moins de chance. Un pied coincé à l’étrier, sa jument l’avait traîné sur plusieurs toises de sentier avant qu’il ne puisse s’extirper de là, la cheville méchamment amochée, les vêtements en lambeaux et des feuilles boueuses plein la tignasse.
Clopinant comme un miséreux, pleurant comme un enfant, la trouille collée aux tripes comme une colique, il arpentait aussi vite que possible le sentier qui se perdait dans une brume de plus en plus dense. Il se retourna tant et tant de fois qu’il ne sut plus dire de quel côté il fallait aller. Se rapprochait-il du village, ou au contraire, s’enfonçait-il dans la vaste, si vaste forêt de Chaux ?
Poc poc poc poc poc poc
Quelque chose approchait dans la brume, il le sentait.
Poc poc poc poc poc poc
- Not’Pèrequiêtezauxcieux, pria Philibert à toute vitesse, la terreur crispant son front.
La silhouette du cheval de la Dame émergea lentement face à lui. Il avait l’air si normal tout à coup que Philibert se demanda même s’il n’allait pas pouvoir s’en servir pour sortir de cette maudite forêt. Respirant à fond, il s’approcha de l’encolure de l’animal qui se détourna de lui avec humeur.
Philibert aperçut alors une corde attachée au pommeau de sa selle. Et cette corde traînait quelque chose par terre. Se plaquant la main sur la bouche pour ne pas hurler, il vit passer devant lui le corps sanguinolent de son frère, pendu par le cou, et sectionné à hauteur de la ceinture. Firmin Beuillot, 1er du nom, n’engrosserait plus jamais personne…
Tombant à genoux, se croyant devenir fou, une douce voix dans la brume lui murmura, semblant provenir de la nature même :
- Ne m’oublie jamais, Philibert Beuillot. Je suis la Dame qui préside à toute chose en ce monde, aux cycles de la naissance comme de la mort. Je suis la Vouivre dans les ruisseaux, le grain dans les champs, je suis la faux qui récolte, celle qui réjouit et prend son dû. Je suis la Dame de la demeure. Je suis noire et je suis belle et je suis le voile entre les mondes. Raconte aux autres ce que tu as vu, et que ma mémoire ne soit plus jamais oubliée !
Tout le village fut en émoi en écoutant le récit épouvantable des deux frères.
Baudoin bégayait des choses inintelligible à propos de créature énorme et ondulante qui se serait jeté sur Firmin. Les jours suivants, une battue fut organisée pour tenter de retrouver le demi-corps de son frère, mais en vain. L’on aurait volontiers douté de toute cette histoire et mis cela sur le compte du vin si l’on avait pas trouvé des traces sanglantes tout autour de la source et sur le sentier.
Quant au gros Louis, le maréchal-ferrant, on l’avait finalement retrouvé sous un tas de foin dans l’étable, avec quelques côtes brisées et une méchante bosse sur le crâne. Le cheval de la Dame n’avait pas apprécié qu’il essaie de le monter “pour voir c’que ça s’faisoit d’être sur une bête pareille”.
Le jeune fils Beuillot, qui était assez habile de ses mains, et après sa frayeur apaisée, sculpta dans un bois rare une statue à l’effigie de la Dame. Et puis Philibert partit trouver les cousins charbonniers, afin qu’ils durcissent ce bois par le feu. Ainsi noircie et imputrescible, la statue fut déposée au fond de la grotte et vénérée en secret par tous les villageois.
Quand à la source, et son vieux chêne, personne ne s’y aventurerait désormais la nuit, sans évoquer le souvenir de “Terreur-Sainte-Reine”.
Et plus personne ici n’oublierait jamais LA VIEILLE LOYE...
FIN
1 Le Cheval Gauvin, en franc-comtois. Légende locale de cheval maléfique à deux pattes.
2 Le souvenir des invasions sarrazines en Franche-Comté à la fin du premier millénaire est très prégnant et de nombreux lieux-dits portent encore la trace de leur passage dans leur nom.
3 Cantique des cantiques
4 Un “beuillot” en franc-comtois représente l’idiot du village
5 Devise de Franche-Comté, que l’on fait remonter à l’une ou l’autre des batailles épiques contre les français, la Franche-Comté ayant longtemps appartenue à l’Espagne.
6 Un mauvais esprits de la région
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