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Imelda, au-delà des apparences




Qu'un cinéaste décide d'incarner sa propre grand-mère paternelle, voilà une idée qui ne manque pas de piquant !

Oh bien sûr, cela commence d'abord par une idée toute simple : rendre un hommage à un personnage familial haut en couleur qui aura marqué plusieurs générations, avec ses répliques inoubliables, ses manies désopilantes et parfois horripilantes, que Martin se plaisait souvent à imiter depuis son enfance.

Histoire de graver sur la pellicule prisée des dernières générations des Villeneuve des souvenirs qu'aucun album photo figé ne saurait retransmettre aux suivantes.


Pas de budget, pas de projet sérieux, juste un petit groupe d'amis décidés à relever le défi, quelques heures avant la vente de la maison de Melenda Turcotte-Villeneuve (Imelda) où elle vécut jusqu'à ses 101 printemps.

Martin Villeneuve, en McGyver du cinéma, a l'habitude de se débrouiller avec trois fois rien, tire parti de ce qu'il a sous la main, des talents qui l'entourent et qu'il fédère avec enthousiasme.



Il enfile alors les robes grand-maternelles et passe entre des mains expertes pour le maquillage.

Feedback to the past et premier court-métrage, en 2014, à l'arrache pourrait-on dire. Martin est méconnaissable et pour celles et ceux qui ont connu ou pu voir la véritable Imelda dans les quelques vidéos d'archives disponibles dans les bonus, on croirait la voir et l'entendre.


Pourquoi ne pas continuer ? Deux nouveaux épisodes, tournés 6 ans plus tard, en 2020, qui embarqueront dans leur sillage Robert Lepage dans le rôle de son fils notaire et Ginette Reno dans celui de la grand-mère maternelle et éternelle rivale d'Imelda, que Martin, dans une scène imaginaire, cherchera à réconcilier.


Au-delà du rire, des scènes au franc-parler touchant dans des lieux au symbolisme puissant et propre au passage des âmes : dans un cimetière, ou dans la nef d'une église en travaux où l'émotion palpable est portée par Ginette Reno dans une chanson poignante, condensant le ressenti de toute une existence. Même le bureau du notaire est un lieu qui acte du passage dans l'autre vie et Imelda y parle avec force des fleurs qu'elle souhaite pour son enterrement. L'autre monde suinte, chamanique, à travers les personnages et les situations, qui feront sourire ou étreindront le cœur mais jamais sans une once de morbidité.


L'esprit de la grand-mère est bien là, devant les caméras. Porte ouverte toute grande sur son âme, revivifiée par une vision sans concession de l'existence et une liberté de langage rafraîchissante à une époque où l'on s'offusque de tout et de rien.


Martin n'est plus un scénariste, un réalisateur ou un acteur... il est devenu un intercesseur qui tente aussi de transmuter par sa « mascarade » une vieille rancoeur de famille. Ginette Reno – Simone pour l'occasion – aura vraiment la curieuse impression de s'adresser à la véritable Imelda, comme elle le confiera ultérieurement dans une interview.


Une fois encore, les frontières s'effritent, dans l'oeuvre de Martin Villeneuve.

L'intuition, avec ses contours flous, imprécis, va faire émerger quelque chose des profondeurs qui n'apparaîtra véritablement que plus tard, et qui apportera, en cours de réalisation, son lot d'événements improbables, ses bizarreries synchronistiques.


Couche après couche, le sfumato cinématographique dévoile une image inattendue. Celle d'une pratique multi-millénaire, qui a eu lieu dans la plupart des sociétés premières, et qui consiste à communiquer avec l'esprit des ancêtres. Processus transgénérationnel devant mener à la catharsis et à la guérison d''une lignée, ou d'un clan. Le masque traditionnellement censé représenter ou même contenir l'esprit ancestral, est pour l'occasion constitué de simple maquillage et de tissus appartenant à la défunte, mais la volonté d'incarner est ici plus forte que jamais dans l'attitude, les mimiques, les souvenirs évoqués. Une version moderne de ce que Mircéa Eliade appelait la réactualisation du passé. Renaissance d'un temps mythique familial, le cosmos singulier d'Imelda.

En acceptant de se fondre en elle, Martin permet par ce jeu un dialogue unique qui génère une véritable réconciliation ici-bas, mais aussi peut-être dans cet espace transcendant que nous rejoindrons tous... par la nouvelle relation qu'elle construit entre des personnes qui se sont cordialement détestées toute leur vie, dans l'esprit collectif des spectateurs et de la famille Villeneuve.


Comme Romuald Leterrier et Jocelin Morisson, auteurs de Se souvenir de l'au-delà l'ont mis en exergue, « Serons-nous progressivement, pas à pas, par le biais de contacts et d'expériences de relation avec l'au-delà, capables de faire bouger le seuil de notre tolérance à l'extraordinaire ? ».


La trilogie d'Imelda, et ses suites à venir (en cours de tournage), sont pour moi, l'une de ces expériences extraordinaires. L'une de celles qui, l'air de rien, imprime dans la psyché de ceux qui aiment regarder de l'autre côté des apparences, une marque indélébile et interroge sur l'essence du réel.


Caroline Karedo


Voir la trilogie d'Imelda :

Imelda 2 / Le notaire en accès libre:




Merci à Martin Villeneuve pour les photos d'illustration.

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